Une offensive coordonnée, impliquant Terra Nova, le think tank sur lequel s’appuie le président François Hollande, et une officine stipendiée par l’ambassade des Etats-Unis à Paris, vise à censurer certains sujets à gauche et à exclure des formations de gauche les personnalités qui les portent. Des consignes ont été données en mai au sein du Parti socialiste et, en juin, le Parti de gauche a choisi de les suivre. Première victime de cette épuration, le maire de Grigny, René Balme, a été contraint à la démission. Réagissant à cette cabale, l’universitaire belge Jean Bricmont s’interroge sur les dérives de la gauche française et les méthodes indignes qu’elle emploie.
Pendant des décennies, la gauche, particulièrement la « gauche radicale », a utilisé la « lutte contre le fascisme et l’antisémitisme » (ou la « lutte contre le fascisme, le racisme et l’antisémitisme », pour être plus politiquement correct) comme arme contre l’extrême-droite et, parfois même contre la droite, en faisant fi du fait que, d’une part, cette lutte avait pour fonction essentielle de faire taire les critiques « excessives » de la politique israélienne ou de ceux qui la soutiennent en France, et, d’autre part, violait souvent des principes fondamentaux en ce qui concerne la liberté d’expression.
Mais lorsque la même arme a été utilisée par Rue 89 contre René Balme [1], militant du Parti de gauche, maire de Grigny et candidat du front de gauche aux élections législatives, son parti l’a simplement abandonné, ce qui a entraîné sa démission [2] et un communiqué particulièrement affligeant du Parti de gauche [3].
Que reproche-t-on à René Balme ? D’avoir été l’animateur d’un site (oulala.net, aujourd’hui fermé) ou l’on trouve des articles ou des liens avec des anti-sionistes « obsessionnels » (Israël Shamir, Gilad Atzmon), avec des « complotistes » (Thierry Meyssan) ou avec Dieudonné et Soral.
Personne n’a donné le moindre argument montrant que René Balme lui-même a en quoi que ce soit des opinions racistes ou antisémites. Ce que l’on fait, c’est éplucher soigneusement un site, contenant des milliers d’articles, pour en exhiber certains qui sont qualifiés de « suspects », dont on se dispense d’ailleurs d’en faire une critique détaillée.
Dans le réquisitoire de Rue 89, on trouve, par exemple, des perles comme : « René Balme s’est inspiré de la télévision vénézuélienne Vive TV pour créer Vivé (pour « vidéo-vérité »), « école internationale de vidéo et de TV participative » après un voyage en 2006 au pays d’Hugo Chavez. » C’est vrai, quand on a déjà TF1, pourquoi créer d’autres médias ? Et n’est-il pas « suspect » de voyager « au pays d’Hugo Chavez » ? Par ailleurs, tout le monde sait que la TV participative est un dangereux pas vers le fascisme.
La même méthode, de culpabilité par association, est d’ailleurs utilisée contre des sites comme Le Grand Soir ou celui de Michel Collon. Eh bien, jouons à ce jeu, mais différemment. Le parti travailliste israélien a participé à la colonisation des territoires occupés, à l’offensive contre Gaza, et à plusieurs guerres israéliennes. Or ce parti est dans l’Internationale Socialiste. Et, hop, culpabilité par association : tous les partis socialistes sont « liés » à la colonisation, aux guerres etc. Le tour est joué. Pire : Mélenchon, qui a appelé à voter pour les candidats socialistes aux élections présidentielle et législative, est aussi « lié à » tout cela. Ou prenons les dirigeants américains : ils ont tous des liens avec les principaux partis français et ont presque tous attaqué des pays qui ne les menaçaient pas, bombardé des civils, violé le droit international, assassiné sans jugement (au moyen de drones par exemple).
Peut-on m’expliquer pourquoi être « lié » à cela est moralement plus acceptable qu’être « lié » à un film de Dieudonné ou à un livre de Meyssan ou de Soral ? La différence étant que, dans un cas, on parle de morts (par centaines de milliers), dans l’autre, de mots ou d’images. Et, dans les deux cas, on a tout autant affaire à des choix délibérés (sans doute bien plus dans le cas des partis, puisqu’on peut difficilement s’attendre à ce que René Balme, maire de Grigny, vérifie soigneusement le contenu de chaque article de son site).
Je ne connais pas bien René Balme, mais pour autant que je puisse voir, il est une sorte d’écologiste radical, partisan d’une démocratie participative qui, par ailleurs, prend fait et cause pour le peuple palestinien. Le type même du « fasciste » (dans la triste France d’aujourd’hui).
En réalité, à moins de vivre totalement coupé du monde, chacun a des contacts avec toutes sortes de gens, par nécessité, par hasard, par intérêt... La culpabilité par association, c’est comme la censure-elle n’est utilisée que par les forts contre les faibles et, si elle était appliquée de façon impartiale, elle mènerait vite à une condamnation universelle.
Cette culpabilité par association, tout comme la censure, la diffamation, les accusations sans preuves, ne devraient pas faire partie de l’arsenal d’une gauche véritable ; pour utiliser le langage de la gauche morale, toutes ces tactiques devraient être « contraires à ses valeurs ». Mais quand il s’agit de « combattre le fascisme et l’antisémitisme », on a décidé que « tous les moyens étaient bons ». C’est la racine du problème et, ce que l’affaire Balme montre, c’est que ces moyens finissent par se retourner contre la véritable gauche elle-même. Des armes telles que censure, amalgame, diffamation, légitiment l’arbitraire et sont toujours, en fin de compte, les armes du pouvoir.
Par ailleurs, quand on voit les obstacles rencontrés par les révolutions française, russe, chinoise, vietnamienne, algérienne, cubaine, iranienne, ou par des réformateurs comme Allende, Chavez et Lumumba, on peut difficilement prendre au sérieux un parti qui prétend « combattre le capitalisme » et qui capitule à la première salve du canon de la « lutte contre le fascisme et l’antisémitisme ».
Jean Bricmont
Source : Réseau Voltaire
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