Sans le savoir, tous les dimanches, des milliers de promeneurs de la forêt de Fontainebleau passent peut-être devant les vestiges d’une civilisation inconnue. La forêt de Fontainebleau est l'une des plus grandes et plus belles forêts de France, elle s'étend sur 17 702 ha, auxquels il faut ajouter les 3 300 ha de la forêt domaniale des Trois Pignons. Entre les arbres et les rochers aux formes fantastiques, on peut sentir cette atmosphère magique. Le mystère de la forêt de Fontainebleau a fait l’objet d’une vive controverse. La question se pose toujours : Fontainebleau a-t-il été le centre d’une ancienne civilisation inconnue ?
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Celui qui ne croit pas à l'intelligence de la nature et des choses, celui qui ne croit pas au langage des pierres, du bois et de l'eau, est un être-matière borné dans ses perceptions et ses sensations subtiles ; il est irrémédiablement condamné à l'épais et au dehors."
Robert Charroux
La thèse du Petrimundo
Cette citation est l'introduction d'un chapitre que Robert Charroux consacre à ce qu'il appelle le "Petrimundo", un monde pétrifié, très ancien, où la nature préfigure le monde vivant à travers une débauche de formes animales et humaines. Le Petrimundo c'est "
le miracle des rochers zoomorphes et anthropomorphes de France, du Pérou, du Brésil et de Roumanie." On peut y ajouter aussi ceux de l'Inde ou d'Afrique.
Il est vrai que certains rochers ont parfois des formes singulières, où le promeneur ne peut s'empêcher de reconnaître des animaux ou des têtes humaines. Mais n'avons-nous pas tous joué à trouver des formes animales au hasard des nuages ? Un test psychologique célèbre, le test de la tache d'encre ou test de Rorschach, repose précisément sur la capacité d'association automatique qui nous pousse à reconnaître une forme familière dans un tracé dû au seul hasard.
Certes, répondrait Charroux qui n'ignorait pas le phénomène. Mais le hasard a bon dos, s'il existe. Le hasard seul ne peut expliquer la profusion de formes animales qu'adoptent les rochers d'un certain lieu.
"Plus que tous les autres, le site de Fontainebleau est un parc zoologique abritant une incroyable variété d'animaux. On y trouve, en pleine liberté, mais minéralisés en quelque sorte, des singes, des rhinocéros, des serpents volants, des oiseaux, des dinosaures, des crapauds, des félins, des agneaux, des ours, des hippopotames, des tortues, des cachalots, des otaries, des hiboux, des éléphants, etc. Et aussi un sphinx et des têtes humaines merveilleusement sculptées."
Il est vrai qu'à parcourir le Val d'Apremont, les Gorges de Franchard (point culminant de la forêt), le massif des Trois-Pignons, le Bas-Bréau, ou d'autres lieux comme les environs de la Mare aux Fées sur la route de Bourron-Marlotte, on ne peut cacher son émerveillement. A chaque pas, un nouvel amas rocheux retient notre attention. Certains ensembles, juchés sur des hauteurs, figurent des châteaux héroïques. D'autres, abrupts et menaçants au flanc d'une pente raide, évoquent les titans et les géants antiques.
Mais les plus étonnants sont rassemblés en ménagerie d'animaux immobiles. Comme par hasrd, ces lieux-là sont les plus puissants en terme géobiologique. Durant plusieurs années, Edith Guérin a étudié et photographié le site : "Est-ce l'effet du hasard si ces rochers insolites sont groupés comme s'ils avaient appartenu à d'anciens centres rituels, notamment dans les gorges et le chaos d'Apremont ?"
Charroux tente de répondre :
« Deux hypothèses peuvent expliquer le petrimundo de Fontainebleau : caprice de la nature et travail des hommes de la préhistoire. Incontestablement, la seconde proposition doit être éliminée, car le rocher, de grès très dur, porte encore son écorce naturelle, du temps où elle (sic) se solidifia à l'air libre, il y a environ trente millions d'années. La première proposition, a priori, n'est pas satisfaisante.
Car le calcul des probabilités qui expliquerait les représentations zoomorphes les plus simples : otaries, serpents, tortues, n'autorise pas un caprice qui porterait sur l'enfantement de trois éléphants, avec leur trompe, leurs yeux, leur queue, leur corps et leurs pattes. Force est donc de revenir à la thèse de la volonté consciente de la Nature de procréer, c'est à dire de s'essayer à l'ébauche des formes futures de sa création la plus élaborée.
C'est l'explication la plus rationnelle, quelle que soit son apparence incroyable et miraculeuse. Le petrimundo de Fontainebleau est, à notre point de vue, la manifestation de l'intelligence de la matière. »
La thèse de Charroux paraît audacieuse, elle l'était moins à l'époque : n'oublions pas qu'il écrivait voilà cinquante ans. On mesure ainsi combien le concept de rationnel a évolué depuis cette époque de l'après-guerre. (
En savoir plus)
Ancien centre civilisationnel ?
Le passé géologique de la forêt reste assez mal connu.
Son passé historique encore plus. Jusqu’à vers 1830, l’ensemble du massif
n’était qu’une énorme tache blanche sur la carte de l’Ile-de-France. On ne fréquentait alors que les abords de l’antique «
forêt de Bière », ancien nom du lieu. Même les brigands, qui échappaient là aux
gendarmes royaux, hésitaient à s’enfoncer dans cette immense forêt.
Des légendes circulaient sur des habitants mystérieux qui
hantaient la forêt. On disait que le Grand Veneur ou le Chasseur Noir veillaient.
Gare à qui les rencontrait sur son passage ! Ils étaient toujours accompagnés
d’une meute de chiens diaboliques.
Bien évidemment, ces légendes écartaient curieux et
promeneurs, à une époque, où la nature et la faune qui l’habitait étaient
méconnues et considérées comme dangereuses.
Étude des grottes
de Fontainebleau
Ce que l’on sait c’est que pendant plusieurs dizaines de
milliers d’années, des hommes ont habité certaines grottes de la forêt. Ils y
ont tracé de nombreuses figures et des signes qui continuent à poser des
problèmes aux préhistoriens.
Ces signes s’échelonneraient, selon J.-L. Baudet, le
chercheur qui les a le mieux étudiés, sur une période qui couvre près de 30 000
ans, de l’interglaciaire riss-würm jusqu’à l’âge de fer. Les plus anciens signes sont très frustres : de simples
lignes abstraites marquées dans le grès des rochers.
Les plus récents représentent des figures humaines ou
animales, ainsi que des symboles plus élaborés, dont la signification exacte
nous échappe. Les spécialistes ont noté une ressemblance entre
plusieurs de ces figures et celles trouvées dans d’autres sites préhistoriques
énigmatiques.
Une écriture
mystérieuse
On a également trouvé quelques tombes néolithiques au cœur de Fontainebleau. L’une d’elles est surmontée de blocs en forme de
gisants. S’agit-il de blocs naturels ou aménagés par l’homme ? Cette tombe a livré plusieurs petites sculptures de
pierre. Elle a été fouillée au début des années 60 par le poète et archéologue
amateur Robert Ganzo.
Les sculptures ont été contestées par les chercheurs
officiels qui les considèrent comme de simples fantaisies de la nature. Pourtant, il est à souligner que d’autres vestiges
néolithiques ont été mis au jour autour de Fontainebleau. De plus, certaines tablettes, retrouvées par R. Ganzo,
dans une des tombes posent un problème archéologique considérable. En effet, ces tablettes étaient recouvertes d’idéogrammes
qui évoquent irrésistiblement une écriture.
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Quelques pétroglyphes du massif de Fontainebleau dessinés par Georges Nelh
(Initiation à l’Art rupestre du Massif de Fontainebleau, 1988) |
Ce qui est officiellement impossible. L’écriture est née
officiellement bien plus tard, au Proche-Orient. A notre connaissance, les
premiers écrits sont apparus à Sumer vers 3 300 avant notre ère. On inscrivait
des pictogrammes sur des tablettes d’argile. Vers 3000 avant notre ère, les signes se transformèrent
en suites de traits : l’écriture cunéiforme.
L'écriture Hittite pictographique a été créée aux
environs de 1500 avant notre ère. Pourtant, il existe plusieurs autres exemples d’écritures
préhistoriques, antérieures aux civilisations du Proche-Orient. L’énigme de Glozel, dans la haute Loire française, est
une des plus controversées.
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Ecriture hiéroglyphique hittite
provenant de Karkemish
(Ankara, Musée Hittite).
Dinosoria |
Les tablettes de Tartarie, datées de 4000 ans avant
notre ère, sont un autre sujet de controverse. En effet, ces tablettes ont été
retrouvées en Transylvanie. Cela laisserait donc supposer que l’écriture n’est
pas née en Mésopotamie, berceau de la civilisation de Sumer, mais au cœur des
steppes de l’Europe orientale.
La communauté scientifique argue que la datation au carbone
est tout simplement erronée.
Il y a une certaine ressemblance entre les idéogrammes de
Fontainebleau et les caractères laissés par la civilisation hittite.
Faut-il pour autant faire des anciens habitants du massif
de Fontainebleau les ancêtres des tribus qui sont parties coloniser l’Orient ?
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Tablette de Tartarie (Museum
of History of Transylvania, Cluj-Napoca, Roumanie) |
Les rochers de
Fontainebleau
Ce sont sans doute les plus visibles et étranges vestiges
du passé de Fontainebleau. Il est difficile de ne pas s’interroger sur leurs
formes. Là encore, la question se pose : ces rochers ont-ils été
taillés par l’homme ou par la nature ? On peut observer une exactitude figurative vraiment
surprenante pour certains rochers. Certains reproduisent une otarie, un éléphant,
des tortues géantes, un oiseau de proie …
Est-ce l’érosion naturelle qui s’est exercée au long des
millénaires sur les formations rocheuses en grès ? A notre connaissance, aucun de ces animaux, n’a évolué
dans cette partie du monde, même à une époque lointaine. Mais que sait-on
vraiment du passé de notre planète ?
Nos ancêtres, dans les grottes, peignaient leur quotidien
et les animaux qui les entouraient. Cette mystérieuse civilisation n’a-t-elle
pas tout simplement voulu, elle aussi, retranscrire les animaux de la vie
quotidienne ? Il y a un peu trop de coïncidences et de fantaisies de la
nature dans toute cette affaire. Fontainebleau attend toujours que l’on veuille bien se
pencher sur son passé.
Peut-être qu’un jour, Fontainebleau deviendra le
Stonehenge français.
V. Battaglia (23.03.2006)